Un 1er mai somme toute normal

« Et puis Rome ne s’est pas défait en un jour hein »

paru dans lundimatin#427, le 6 mai 2024

Que serait un 1er mai sans les ballons de la CGT, les nuages de lacrymos et les brins de muguet ? En cette fête des travailleurs, Bernard Chevalier s’est baladé dans le cortège parisien.

Mercredi 1er mai 14 h
Je sors de chez moi et je tombe
rue du château d’eau
sur une fanfare de tambours
Je les suis
Passé le cordon rouge et blanc
un tambour lance La rue elle est à qui
et on reprend
A nous à nous à nous
Ça faisait un bail
Et ça fait plaisir
Avant Répu contrôle des sacs
j’esquive
Derrière moi sur le Magenta
ça afflue de partout et ça chante
On est là même si Macron le veut pas
Nous on est là

Le refrain des gilets jaunes
effronté insolent insistant
usé mais tellement résistant
Roulements de tambours
Du monde devant le stand LFI
Contre la casse sociale Pour la Paix
Une petite foule massée pour l’écouter
Plus fort Jean-Luc on t’entend pas
Pas loin le stand clairsemé des écolos
Quelques élus avec écharpes tricolores
et Maryse cool avec un gosse
tout ça sympatoche un poil décalé
Et puis des stands de partis d’opposition
de pays d’ailleurs
un immense banderole aux effigies glorieuses
de Marx Engels Lénine Staline
d’un parti révolutionnaire turc inconnu
et entre deux arbres le portrait géant du kurde Öcalan
qui croupit depuis vingt-cinq ans sur l’île-prison d’Imrali
dans la mer de Marmara m’apprend l’ami wiki
Respect et fuck Erdogan
Foule compacte boulevard du Temple
Je l’évite en passant par la rue Amelot
que remonte une fanfare à vent
à la musique entraînante
Je la suis
Via la rue de Crussol je retrouve
la manif sur le boulevard
et tombe sur les troupes de LO
Une vieille militante me tend un tract
qui m’apprend qu’à leur fête à Presles
il y aura village médiéval et acrobranche
Toujours beaucoup de monde
On avance pas à pas même sur les trottoirs
Mais je veux manifester pas défiler
surtout pas derrière un ballon qui empêche de voir
Alors de nouveau rue Amelot
où je retrouve la fanfare joyeuse
mais cette fois je la précède
tel le joueur de flûte de Hamelin
Plus loin je rejoins la manif
et j’assiste au pétage du 1er Decaux
par un anar qui signe Mort au travail
Il était temps
péter les Decaux
c’est un peu le minimum syndical non
J’avance et me retrouve
à hauteur du gros ballon jaune et rouge
de la CGT Île-de-France qui ouvre la marche
A l’arrière du camion une militante
décline au micro sur tous les tons
Et les services publics ils sont à qui
A nous à nous à nous
reprend modérément la foule
Et puis ploc ça y est
juste devant le ballon
j’y suis enfin dans le cortège de tête
énorme au moins aussi gros que le syndical
et sans ballons sans hauts parleurs
sans musique enregistrée
Une foule à la sociologie impossible
où se mêle toutes sortes de gens
où les jeunes en noir côtoient
des retraité.e.s des syndiqué.e.s
mais sauf erreur la banlieue n’est pas trop là
Je cherche à embrasser du regard jusqu’où s’étend
cette mer de corps qui s’agrègent et se désagrègent
comme des vagues qui moutonnent
mais impossible on est beaucoup trop
J’aperçois quelques drapeaux palestiniens
mais pas tant et ça m’étonne
Un seul grand drapeau virevolte au-dessus de la foule
A l’assaut du ciel
Rappel du temps de la Commune
et peut-être moins loin de nous
du temps de l’autonomie italienne
cet archipel idéologiquement hétérogène
territorialement dispersée
organisationnellement fluide
politiquement marginalisée
 [1]
que perpétue à sa façon le dit cortège de tête


Le cassage des Decaux rythme la marche
A chaque croisement de rue
on aperçoit les escouades de keufs
jamais très loin
mais pas non plus trop près
Pas de nervosité palpable
tout juste un peu d’électricité dans l’air
Le cortège avance plutôt silencieux
Je dépasse une poignée de vieux
Gilets jaunes tout cassés derrière
une troupe du NPA qui agitent leurs drapeaux
Et surprise
la seule pour le moment
en tête du cortège de tête
je retrouve ma Fanfare à vent
d’où viennent-ils
du 92
comment s’appellent-ils
la flûte des classes
trop beau
Rien d’autre n’ouvre le cortège
Pas même une banderole propalestine
Ou une bien frappée du Black lines
15H05 première charge pour nous isoler
du reste de la manif
On voit de loin les keufs courir et taper fort
On se réfugie sur le côté devant un stand du NPA
pour les laisser passer
Derrière on se reforme aussitôt
Le ton monte normal
ACAB ACAB ACAB
Macron nous fait la guerre et sa police aussi
Anti anti capitaliste

au rythme militaire de la fanfare
On n’est pas non plus vraiment surpris
ni indigné.e.s ni en colère
On réagit à une action répressive
prévisible attendue habituelle
C’est comme une figure de ballet
Ça charge on court un peu
on se regroupe on gueule
on attend un peu et on repart
Bref c’est pas le zbeul mais
l’ordre normal du monde
Tellement tellement difficile à bousculer
ou alors c’est miracle état de grâce
Et pourtant se faire chasser et taper
parce qu’on manifeste hors des ballons
toute cette banalité de l’habituel
devrait nous émeuter mais non
les choses suivent leur cours
les flics multiplient les charges pour
nous saucissonner toujours plus
et ça gaze derrière devant un peu beaucoup
A Bastoche reculade en panique de flics isolés
dont l’un en plein stress nous vise avec son flash ball
Un instant j’entrevois la possibilité
de m’en prendre une entre les deux yeux mais j’exagère
La rue si elle ne l’a jamais été
n’est plus vraiment à nous
Bloqué.e.s derrière une ligne de robocops
on stagne on piétine on trépigne
on attend l’ordre de leurs chefs
pour repartir`
C’est misère
Je ne vois plus le drapeau A l’assaut du ciel
Allez les gars merde on les pousse dit un vieux
Mais rien ne se passe
Rue de Lyon ça charge et gaze sec
Les détonations font peur à pas mal
et tout le monde reflue
jusqu’au SO de la CGT encordé autour du ballon
des quinquas costauds et casqués à l’air pas cool
Mais plus de peur que de mal comme on dit
tout va bien
on se retrouve on se regroupe
on reprend nos conversations
on avance en scandant de temps en temps
A bas les flics et les fachos
Flics violeurs assassins

et les bras levés claquant des mains
le Siamo tutti antifascisti
toujours aussi emballant
Avenue Daumesnil des BB tentent des trucs
Cible de choix un mac do mitoyen avec une banque
mais manque de force de conviction ou d’outils
les vitres résistent et rien ne vient là non plus
Déception
J’entends dire au moins on aura essayé
Si tout de même une voiture brûle un peu plus loin
mais on est loin et de l’émeute et de son vertige
Les tags pas si nombreux
ne sont pas trop inventifs non plus
J’en retiens un
Ouai on va les allumer tes jeux
Après ces deux arrêts le cortège redémarre `
en mode balade jusqu’à Nation
C’est mort, on arrive, y aura plus rien
lance une jeune renoi qui porte
un pavé sur la tête
Effectivement c’est bien mort
On se disperse sur la Place sous l’œil
quasi indifférent des keufs
et on file boire des bières
Place de la Réunion
Là on rigole de notre espoir d’un débordement
qui nous a fait marcher une fois de plus
de Repu à Nation un premier mai
Mais c’était bien de se retrouver ensemble
ce jour de printemps où contrairement
aux prévisions de météo France
faites sans doute pour nous décourager
aucune averse ne nous a saucé.e.s
Et puis Rome ne s’est pas défait en un jour hein
Allez santé et à la prochaine

Bernard Chevalier

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